Petite histoire de Cinémaginaire

Histoire désinvolte et déraisonnée de Cinémaginaire 1983-2002

Par François Boutonnet

photo1Je me souviens du 23 juin 1983, où fut paraphé, dans l'allégresse et les libations, l'acte de naissance de l'Association Cinémaginaire, à Rasiguères, petit village des Fenouillèdes, au nord de la Catalogne et au sud de l'Occitanie, dans un no man's land frontalier des Pyrénées Orientales. Une petite dizaine d'amis réunis autour d'un canard aux cerises, pour participer à l'assemblée générale fondatrice de l'Association Cinémaginaire. Il s'agissait alors de faire revivre le cinéma des villages, apporter, là où elle avait disparu, une animation culturelle de qualité, régulière et durable : 1ère étape : créer un circuit de cinéma itinérant d'une dizaine de villages.

        
photo2Je me souviens du 9 novembre 1983, la première séance de cinéma de Cinémaginaire, à Maury, capitale du Vin Doux, dans une salle des fêtes archi-comble, autour du film Superman. L'appareil de projection tout neuf que nous venions d'acheter connaissait sa première panne, quelques heures avant la séance. J'étais allé en catastrophe jusqu'à Domazan, dans le Gard, emprunter pour un jour ou deux, le projecteur 35 mm de l'Association La vie au grand air, le très actif circuit de cinéma itinérant fondateur de l'ACIR (Association des Cinémas Itinérants Ruraux).

photo3Je me souviens de Marcel Oms, venu présenter dans un des points de notre tournée cinématographique, à Espira de l'Agly, le film Le retour de Martin Guerre, devant un parterre captivé. Marcel Oms devait nous faire rencontrer Jean Carrère, Maire d'Argelès sur Mer, où la Ville allait construire un cinéma. Quelques temps plus tard,Cinémaginaire signait une convention avec la Ville d'Argelès sur Mer pour l'animation du Cinéma Jaurès, et l'aventure prenait un nouvel élan.

Je me souviens des premières Rencontres Cinémaginaire, en mai 1986, devant une assistance clairsemée mais déjà fidèle et passionnée. Le thème en était Cet Obscur Objet du désir, et chaque année désormais, pour mille années à venir, le festival Cinémaginaire se déroulerait en mai, autour d'un axe thématique donné par un des titres de films de la sélection. Quand on édicte ses propres règles, on est plus à l'aise pour les déformer sans cesse à sa guise.

photo4Je me souviens de la première Granote d'Or, récompensant le court métrage primé à la compétition des Rencontres Cinémaginaire. Il s'agissait du remarquable film Le balayeur, de Serge Elissalde, film d'animation de 3 ou 4 minutes à peine, mais d'une telle force que tout était dit, et limpidement dit : le racisme ordinaire, le fascisme du caniveau, et l'art, encore l'art, comme souffle de l'intelligence quand rodent la bêtise et la haine. Serge Elissalde est devenu un réalisateur qui compte, et reviens nous voir de temps à autre en ami

photo6Je me rappelle les Rencontres Cinémaginaire de 1992, où après des années de décollage difficile, le festival devait Ç passer ou casser ! La présence lumineuse de Bernadette Laffont cette année là, accompagnée de l'inoubliable Lazslo Szabo, entraîna la foule des grands jours vers le festival. Désormais, la pérennité du festival était assurée, et le public plus nombreux chaque année.

photo7Je me souviens de la venue d'Otar Iosseliani, venu présenter deux films pour Cinémaginaire, distant et généreux, intarissable en public et réservé en privé, mangeant des petits rougets de Collioure en buvant d'un trait deux verres de vodka, semblant à chaque instant sortir d'un de ses films, pour abolir d'un coup la mince frontière qui sépare fiction et réalité.....     


photo9Je me souviens de la rencontre improbable de deux grands suisses hilares et pinces sans rire, réunis par le hasard objectif du festival Cinémaginaire, l'un acteur cyranesque - Jean Luc Bideau -, l'autre éternel aiguillon des réunions de Cinémaginaire - salut Lulu. Ce jour là, la bonne humeur méditerranéenne avait élu domicile au bord du lac Léman. Les spectateurs du festival, eux, avaient eu la permission exceptionnelle de dormir pendant le film, car - dixit jean Luc Bideau - c'est encore meilleur quand on se réveille brusquement à mi-film.

photo10Je me souviens de cette année fastueuse où Robert Kramer, sollicité depuis plusieurs années, nous avait enfin honoré de sa présence, et fraîchement débarqué de l'avion, parachuté au quartier général de Cinémaginaire, au bout d'un quart d'heure de confidences, de bon vin et de plaisir partagé, m'avait glissé à l'oreille : je commence à comprendre pourquoi je suis là ! Il avait présenté avec une vraie force tranquille ses recherches cinématographiques, puis avait pris sa place de spectateur ordinaire, s'improvisant de bonne grâce interprète du réalisateur islandais qui ne parlait pas français, avait remis le lendemain la Granote d'or à Viviane Pérelmuter et Isabelle Ingold, et nous avait confié avant son départ que désormais les Rencontres Cinémaginaire faisaient partie des 5 festivals au monde qui comptaient pour lui.


Je me souviens de ce moment de magie unique, lorsque Pascal Comelade et ses musiciens, dans un cinéma archi-plein et retenant son souffle, créa en direct une partition musicale du film A propos de Nice de Jean Vigo. A ce film admirable, qui marqua un tournant dans l'histoire du cinéma, répondait une lancinante mélodie, belle et émouvante, bel exemple, non de complémentarité entre l'image et le son, mais de fusion passionnelle et charnelle. Et Luce Vigo, fille de Jean Vigo, qui était là, et Pascal Comelade et ses musiciens, et le public présent, connurent un moment de bonheur très certainement rarissime, et qui ne se reproduira plus.

Je mphoto11e souviens du tournant pris par Cinémaginaire, dans les années 90, où Cinémaginaire mis un doigt, puis deux, puis des forces de plus en plus importantes, dans la dimension pédagogique du cinéma : le cinéma comme vecteur d'une culture populaire, l'apprentissage des images pour développer un regard critique. Un bon tiers des actions de Cinémaginaire, tourne désormais autour de la pédagogie de l'image. Il ne suffit pas de défendre le cinéma de proximité et la diffusion des films dans les habitats les plus reculés, il faut aussi organiser la transmission des savoirs et des émotions liés aux images.

Je me souviens de la croissance exponentielle des actions de Cinémaginaire à l'approche de l'an 2000, transformant en dix ans Cinémaginaire, de frêle embarcation en fringante goélette. Heureusement les équipiers sont vigilants et William et Jean Philippe n'ont pas le vertige
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photo12Je me souviens des discussions jamais finies, toujours renaissantes, sur la véritable recette de la paella. Maître Frédo mettait invariablement tout le monde d'accord, en cuisinant chaque année, un dimanche à midi, la célébrissime paella du festival, la meilleure du monde bien sûr, servie avec le safran et le sourire

Je me souviens de Nadia et de l'exposition somptueuse montée en 1995 autour du thème la frontière: 30 années de création secrète, en un parcours amoureusement scénarisé par Dom. Moment unique !

photo13Je me souviens de l'angoisse montante à suivre les tuyaux déployés par les pompiers dans la rue de la Paix d'Argelès sur Mer, ce sinistre soir du 30 décembre 2000. Les tuyaux me menaient vers le Cinéma Jaurès, où je me rendais, et plus je m'approchais plus la probabilité était grande qu'ils s'y rendaient aussi. Je me mis à courir, et soudain à l'entrée de la rue Jaurès, les flammes sortaient par l'entrée du cinéma. Le Cinéma Jaurès était un immense brasier. Quinze années de vie foisonnante et passionnée partaient en fumée. La rage au cÏur, nous assistions, impuissants au désastre. Il y avait là toute l'équipe et les amis, les élus de la ville aussi et beaucoup pleuraient. A la minute même, il me venait comme une évidence qu'il fallait tout entreprendre, dès le lendemain, pour effacer à jamais ce cauchemar et ses conséquences. Je n'oublierai jamais que les élus de la Ville d'Argelès sur Mer (Jean Carrère puis Pierre Aylagas), entreprirent dès le lendemain, sans attendre et sans l'ombre d'une hésitation, la reconstruction du cinéma.

photo14Je me souviens du sourire de bonheur qui illumina notre ami Touffik, lors de sa rencontre en mai 2001 à Collioure, avec François Dupeyron, invité du festival Cinémaginaire. Touffik avait quitté, quelques mois plus tôt, pour maladie, le tournage du film La chambre des officiers de François Dupeyron, sur lequel il travaillait comme machiniste. Le film s'était achevé sans lui quelques jours plus tard, et Touffik n'avait pas revu depuis lorsFrançois Dupeyron. Leurs retrouvailles devaient hélas être l'un des derniers moments de bonheur de Touffik.

photo16Je me souviens de l'étrange équipée de Cinébicicleta, partie du Québec en vélo jusque en Amérique du Sud, portant caméra, vidéoprojecteur et liaisons internet dans ses sacoches, mêlant vie au grand air et modernité, travaillant chaque soir à refaire un petit coin de la planète, qui en a bien besoin, filmant chaque jour pour ramener des images, proposant chaque soir dans les villages une soirée cinéma, tour à tour devant et derrière la caméra, utilisant les dernières prouesses de la technologie pour les utiliser contre elle même! Un an plus tard, l'Espace Culture Multimédia accueillait en amis, ces ovnis des nouvelles technologies, pour quelques étapes vélocinesques en Roussillon, avant une traversée de la France en vélomultimédia.

photo19Je me souviens des premiers jours de travaux, pour la reconstruction du Cinéma Jaurès d'Argelès sur Mer, en septembre 2001. Après des mois de démarches administratives, de galères logistiques et financières, d'OPA inamicales, mais aussi de la formidable solidarité portée par les Amis de Cinémaginaire, le bout du tunnel s'annonçait et déjà une douce lumière gagnait le cinémaÉ

Je me souviens de la foule considérable réunie le 1er février 2002 pour la réouverture, après 13 mois de travaux, du Cinéma Jaurès. 700 personnes au moins étaient là ! Et le cinéma qui n'en contient que 250 ! La salle prise d'assaut, la rue occupée sur 300 m, le buffet pour 400 personnes liquidé en 3 minutes ! Le bonheur retrouvé !

photo20Je me souviens de la générosité, de la simplicité et de l'humour de Patrice Leconte, qui nous faisait l'honneur de parrainer la réouverture du Cinéma Jaurès. L'homme qui a définitivement changé ma façon de voir venir les ponts qui enjambent les autoroutes, surtout lorsqu'un cycliste stationne dessus, pied à terre, son guidon à la main - voir l'irrésistible film Tandem -, ce réalisateur infatigable, qui après avoir parcouru tous les registres de la (bonne) comédie populaire, n'a pas craint de réaliser des films plus personnels, ce grand cinéaste, prit sur son temps pour venir jusqu'à Argelès, défendre encore et toujours le (vrai) cinéma de proximité, l'amour du travail d'équipe, le respect absolu du public. Plusieurs centaines de personnes n'ayant pu entrer à la séance de 21h pour voir son dernier film en avant première, Patrice Leconte accepta d'enthousiasme de le présenter à nouveau lors d'une séance exceptionnelle organisée impromptue vers minuit.
Merci encore Patrice Leconte